Manger, se nourrir, s’alimenter : une activité complexe et complète puisqu’elle concerne la biologie, la psychologie et les relations sociales de manière très imbriquée.
- Il est aujourd’hui établi qu’une alimentation saine et la pratique d’une activité physique régulière contribuent à un vieillissement réussi.
Les années autour de la retraite ont été identifiées par les pouvoirs publics comme une période propice à la promotion de ces comportements favorables à la santé. En 2008, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) a mené le troisième exercice du Baromètre santé/nutrition. Il s’agit d’une enquête dont l’objectif est d’analyser et de suivre les perceptions, les connaissances et les comportements en matière d’alimentation et d’activité physique des personnes âgées de 55 à 75 ans. Les résultats révèlent que cette population se nourrit plutôt bien et est sensible aux recommandations. Mais ces résultats plutôt encourageants sont susceptibles de se modifier au-delà de 75 ans.
Quelle que soit la pertinence des recommandations et prescriptions relatives à la qualité nutritionnelle, et même gustative de l’alimentation préconisée pour les grands vieillards, à la maison ou en institution, ceux-ci, trop souvent, n’ont pas envie de leurs repas, de les préparer pour certains ou de les recevoir pour d’autres, sans pour autant qu’il s’agisse véritablement d’anorexie. Lassitude de certaines vieilles dames qui ont cuisiné toute leur vie et en ont assez, hésitations de certains vieux messieurs qui, à l’inverse, n’ont jamais assumé cette activité ; pour les uns et les autres, solitude liée notamment au veuvage. Toutes ces sortes de contre-incitations à manger sont d’autant plus redoutables qu’elles demeurent discrètes, mal connues. Surtout lorsque ces vieilles personnes vivent seules, avec peu de relations sociales, voire d’aide ou d’assistance chez elles. Manger mal et manger moins correspondent aussi à ces décrochages des grands vieillards qui sans avoir de souhait de mort n’ont plus que faiblement des souhaits de vie.
Si on trouve de trop nombreux cas de dénutrition à domicile, éventuellement liés à la solitude, on en trouve aussi en institution. À l’hôpital, les malades très âgés et particulièrement fragiles arrivent déjà dénutris. Les soins hospitaliers, de durée nécessairement limitée, ne permettent pas toujours de redresser la situation. En établissement médico-social où les résidents arrivent également fragilisés, le retour du goût de manger ainsi que les enjeux d’une nutrition curative et préventive demandent aux équipes soignantes et de vie quotidienne beaucoup d’attention et de temps. Il peut falloir toute une année pour rééquilibrer telle ou telle vieille personne.
La dénutrition est une pathologie fréquente chez le sujet âgé. Elle a un retentissement grave sur l’état de santé, pouvant entraîner de multiples complications et un coût important. Son dépistage repose sur l’évaluation régulière de l’appétit et du poids et l’identification de situations à risque nutritionnel, qu’elles soient médicales, psychologiques ou socio-économiques.
Ces dernières années, différents investigateurs ont proposé de nombreux mécanismes pour expliquer le vieillissement et ont mis en évidence des bases moléculaires et des événements biologiques qui contribuent au déclin progressif du fonctionnement cellulaire. Il est probable que des facteurs comme les mutations somatiques, les modifications d’expression génique ou la diminution de l’efficacité de synthèse protéique interagissent pour participer aux modifications physiologiques en relation avec l’âge. Or, les apports alimentaires, diversifiés et « optimisés » en qualité et en quantité sont l’un des facteurs modifiables les plus accessibles pour moduler le vieillissement et surtout prévenir le « mauvais vieillissement » avec pathologies et déficits fonctionnels … voire incapacité. L’approche multidisciplinaire permettra d’élaborer des stratégies préventives associant l’élaboration de conseils nutritionnels adaptés, éventuellement la prescription de compléments nutritionnels, le maintien d’une activité physique régulière et l’adaptation des aides à domicile. En institution, la coordination des équipes soignantes, techniques et administratives est nécessaire à la prévention nutritionnelle. La recherche sur le métabolisme des protéines offre des perspectives intéressantes dans ce domaine.
Il apparaît en plus que l’amélioration de l’alimentation ne peut se concrétiser réellement que si la dimension sociale de la nourriture est mise ou remise au premier plan. Les auxiliaires de vie à domicile, qui fréquemment assurent, avec et pour la personne aidée, achats et préparation des mets, peuvent être présentes pendant le temps des repas et leur rendre ainsi une convivialité perdue par la solitude de vie. Les portages de repas à domicile peuvent aussi être des moments de contact et d’échange encourageants. Certains repas organisés à l’occasion de dates festives sont appréciés de bien des personnes très âgées qui ont peu de relations sociales. La détermination fine du choix des commensaux dans les institutions, par les résidents eux-mêmes et avec l’aide des équipes d’accompagnement, est essentielle pour que les repas (re)deviennent des temps d’animation et de plaisir, pas seulement des temps de nourriture quand ce n’est pas de gavage. À qualité culinaire égale, la qualité réelle d’un repas dépend d’abord et surtout de la manière dont il est pris et avec qui. Les politiques de maintien à domicile font que la question de la dénutrition des personnes âgées devient une problématique pour les aidants professionnels et familiaux. Les contraintes techniques, économiques, médicales et organisationnelles pèsent lourd et font que l’amélioration de l’alimentation des plus fragiles parmi les personnes très âgées reste un sujet important et difficile de santé publique. Il ne faut pas oublier la définition de la santé : « état de complet bien-être physique, mental et social ». Utopie, certes, mais utopie nécessaire pour continuer à agir.
Source : http://duchampalatable.inist.fr/spip.php?article165