Positionnement du « domicile » comme premier choix des personnes âgées et des pouvoirs publics, résidents de plus en plus dépendants… Des évolutions qui doivent amener les Ehpad à devenir le coeur de plateformes de services de proximité, tout en renforçant leur médicalisation, ont expliqué Geneviève Gueydan, directrice générale de la CNSA, Sophie Boissard, directrice générale de Korian, et Albert Lautman, directeur général de la Mutualité française, aux assises des Ehpad.
Passer de la théorie, très partagée, de l’évolution des missions des Ehpad dans les années à venir, à la pratique. C’est un peu ce à quoi ont encouragé les intervenants de cette table ronde des assises des Ehpad, consacrée précisément à l’avenir de ces établissements, le 23 mars.
En préambule, Geneviève Gueydan a rappelé l’arrivée des baby-boomers au grand âge à partir de 2025-2030. Il y a donc des « perspectives pour les Ehpad », a-t-elle estimé, soulignant que le nombre de places avait doublé « entre 2006 et 2016 ».
Convenant que l’on était actuellement « dans une phase de stabilisation par rapport aux grands plans de création » -en clair, les créations de places se font beaucoup plus rares-, elle a expliqué que la question se posera donc à nouveau, « mais pas de façon mécanique ».
« Les Ehpad devront -et c’est déjà le cas aujourd’hui- se positionner dans une organisation territoriale, un continuum d’accompagnement, de soins, sur un territoire avec des coopérations à développer », a-t-elle résumé. Ils « évolueront comme des plateformes techniques, des lieux de ressources, pour faciliter le maintien à domicile et être des ressources pour le répit et le soutien aux aidants », a précisé la directrice générale de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). « C’est une réalité qui émerge aux quatre coins du territoire », a-t-elle ajouté.
S’appuyant sur l’expérience de Korian, présent dans quatre pays européens, Sophie Boissard a assuré qu' »en Belgique ou en Allemagne, il n’y a pas une maison de retraite médicalisée qui n’ait pas, à proximité, sa résidence services avec toujours un accueil de jour » et une plateforme de soins à domicile. « C’est vers cela qu’il faut aller », a-t-elle encouragé.
Le casse-tête de l’accueil de jour
Sauf que l' »on reste toujours bloqué » en France par « les différents canaux de financement, et la prise en charge, l’articulation, entre le médico-social d’un côté, et le financement des soins sur lesquels on émarge à des enveloppes et des référentiels très différents. En particulier entre médecine de ville, financement des maisons de retraite médicalisées et soins à domicile, on est toujours en train de se confronter à des angles morts », a-t-elle déploré.
Et elle a cité, pour illustrer, les problèmes d’accès aux accueils de jour: « On est confronté à cette question du transport [pour les personnes âgées qui souhaitent s’y rendre]. Il n’y a aucun problème pour payer du transport sanitaire pour aller faire n’importe quelle consultation dans n’importe quel hôpital, toutes les compagnies de taxis en vivent, mais en revanche pour accompagner une personne âgée fragilisée régulièrement dans un accueil de jour dans un Ehpad, alors là, il n’y a rien, il n’y a plus personne, ce n’est pas possible ! », s’est-elle exclamé.
« Le point auquel on se heurte, c’est qu’aujourd’hui les modèles de financement n’existent pas et il faut vraiment faire preuve d’inventivité en termes d’ingénierie de financement », a-t-elle insisté. « Mais je suis optimiste car la négociation des CPOM [contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens] va nous aider à aller dans cette direction », a-t-elle néanmoins assuré.
De son côté, le directeur général de la Mutualité française, Albert Lautman, a souligné lui aussi l’importance de ce qu’il a appelé « l’Ehpad hors les murs » qui permet de répondre aux besoins des personnes âgées d’un territoire tout en complétant « l’offre de services » de ces établissements.
Soulignant la force de la Mutualité, présente sur les champs sanitaire et médico-social avec toute la palette de prises en charge, il a expliqué avoir de nombreux projets en ce sens, comme « en Isère » ou « en Anjou-Mayenne où nous sommes en train de travailler concrètement sur comment l’Ehpad peut être une plateforme de services pour les personnes âgées isolées sur un territoire ».
« On est au début de cette réflexion-là », a-t-il précisé, souscrivant aux « problèmes de financement » évoqués par Sophie Boissard.
Il a cité aussi un exemple, à Montpellier, d’un pôle constitué d' »une crèche, une résidence autonomie et un Ehpad et où on peut développer des services -sans avoir de problèmes de transport- de prévention, ou d’activité physique adaptée » par exemple.
Davantage de soin, mais « du soin caché »
L’autre enjeu des Ehpad pour les années à venir sont « la qualité et l’adaptation des prises en charge » avec « la fragilité, les polypathologies, les atteintes cognitives, et donc l’accueil des personnes plus dépendantes, mais avec des formes de dépendances plus diversifiées », a résumé Geneviève Gueydan.
« On ne peut pas faire du standard dans les réponses », a-t-elle estimé, interrogeant sur la manière dont « on garantit à la fois une très bonne organisation des soins, cohérente autour des personnes -et encore aujourd’hui on a du chemin à parcourir en la matière-« , dans des établissements qui doivent rester « des lieux de vie », soucieux du « bien-être des personnes » et de « l’entretien de leurs capacités ».
La directrice générale de Korian, Sophie Boissard, a renchéri: « Dans nos maisons, on voit tendanciellement le niveau de dépendance progresser; aujourd’hui, ce sont 74% des personnes accueillies en maison de retraite qui sont GIR 1 et 2, et […] nous estimons que, dans notre réseau, 40% à 50% des personnes accueillies ont des troubles cognitifs« .
« Cela veut dire qu’en termes de prise en charge, de formation, de soutien médical et en termes d’agencement de nos lieux, il faut d’abord et avant tout adapter notre parc à cette situation de grande dépendance », a-t-elle poursuivi.
« Et j’ai deux préoccupations: la première, c’est d’avoir le soutien médical qui va bien », mais pas pour « faire des Ehpad de quasi-hôpitaux ». « Il faut du soin, mais du soin caché », a-t-elle résumé.
« Nous, notre enjeu c’est d’avoir les médecins coordonnateurs […]. Un tiers de nos médecins ont plus de 55 ans… », a-t-elle expliqué, assurant que la démographie des généralistes était « aujourd’hui le sujet qu’on doit poser collectivement sur la table et pour lequel on doit trouver des solutions ».
Sa « deuxième préoccupation », c’est « le personnel des Ehpad ». « On a besoin de plus de temps de présence auprès des résidents. Mais comment je m’organise pour être capable de former et de soutenir, en proximité, au quotidien, les équipes de mes établissements ? », a-t-elle interrogé.
« A l’échelle du groupe » Korian, « on a les moyens de commencer à s’organiser pour faire ça, avec une ‘académie' » et la généralisation du e-learning, a-t-elle précisé.
Les défaillances de l’OPCA de branche
« Mais aujourd’hui, on n’est pas du tout gréé, à l’échelle de la branche, pour apporter en profondeur et en régularité, la formation. C’est vraiment quelque chose qui doit nous mobiliser tous ! », a-t-elle appelé.
« On a construit chez Korian un passeport gériatrique’« , avec « les composantes de savoirs que chaque soignant et chaque membre de l’équipe doit avoir, notamment sur les troubles cognitifs. Aujourd’hui, l’organisme de formation de la branche n’est pas prêt à contribuer au financement de ce passeport gériatrique ! C’est quand même une histoire de fou ! », a-t-elle tempêté. L’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de la branche de l’hospitalisation privée, dont dépendent les Ehpad commerciaux, est Actalians.
« L’Ehpad lieu de grande dépendance, c’est un phénomène qu’on constate et qui est irréversible, c’est le sens de l’histoire. Il faut qu’on s’adapte à cette réalité », a confirmé de son côté Albert Lautman.
Il a aussi souligné la nécessité de s’adapter à de nouveaux publics, comme les personnes handicapées vieillissantes. « Le public des migrants dépendants est […] aussi un public auquel on n’est pas forcément habitué, car la diversité sociologique dans nos structures n’est pas toujours très forte », a-t-il ajouté.
« Mais quels progrès médicaux est-on capable de faire dans les 20 prochaines années sur la prise en charge de la maladie d’Alzheimer ? On a fait des progrès énormes dans la compréhension des mécanismes de la maladie, pas beaucoup dans le traitement… Si, dans les 20 ou 25 années qui viennent, il y avait des progrès significatifs, cela changerait complètement la vision qu’on peut partager sur l’avenir des Ehpad », a-t-il néanmoins prévenu…
Valérie Lespez
Journaliste
valerie.lespez@gerontonews.com
source : http://www.gerontonews.com/l-Ehpad-du-futur-entre-soins-accrus-et-services-de-proximite-NS_CZ3ONKKAI.html